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Blasphemy, should we laugh or cry about it?,10 / 23 / 2015
 
  • Save Manhattan 01, 2004, table, books published after September 11th, 2001, strings, spotlight.
    Exhibition view of Comprendra bien qui comprendra le dernier, Le Parvis, 2004, Ibos.

''I see myself more as an observer than a specialist of Islam. I analyze things primarily through images, as a contemporary artist.''


mounir fatmi, October 2015
 

 

D’abord il y a une image qui me vient en tête : celle de ce manifestant à Alger, le vendredi 16 janvier, qui brandit avec rage un grand papier « Je suis Mohamed », écrit en français et en arabe, qui reprend sur fond noir, l’esthétique des pancartes « Je suis Charlie » de la manifestation parisienne du 11 janvier. C’est le comble de l’ironie : en criant ainsi sa colère contre le blasphème de la caricature de Mohamed en Une de l’hebdomadaire, ce fondamentaliste ne réalise pas qu’il commet un blasphème mille fois plus terrible ! Il se met lui, simple mortel, à la place du Prophète censé incarner l’unicité de l’islam.

Car c’est vrai, ni le Coran ni aucun autre texte fondateur de l’islam ne formulent d’interdiction claire et nette de représenter le prophète. Le Coran, en revanche, se prononce contre les idolâtres, qui vénèrent images et autres statues, mais à une seule reprise : « Le vin, les jeux de hasard, les idoles sont des abominations inventées par Satan. Abstenez-vous en » (Sourate V, verset 90)*.

L’enjeu, pour la religion musulmane naissante était d’une part d’imposer son monothéisme contre tous les cultes païens et les divinités du monde préislamique, d’autre part de se différencier du culte catholique, en particulier orthodoxe dans la civilisation byzantine, qui s’appuie fortement sur ses icônes. Les interrogations sur la représentation, non seulement des figures de l’islam mais de tout animal ou être humain, apparaissent, dès l’origine, plus politiques que strictement religieuses. L’interdiction de toute représentation du prophète est récente, et témoigne d’une lente radicalisation politique depuis environ un tiers de siècle.

Je me sens plus un témoin qu’un vrai spécialiste de l’islam. Je l’analyse d’abord sous le prisme de l’image, en tant qu’artiste contemporain. J’ai vécu la plus grande partie de mon enfance et de mon adolescence à Casablanca. Jusqu’à mes dix-huit ans, jamais je n’ai eu l’impression que la religion posait problème dans le quotidien des marocains. Dans mon quartier, on savait qui pratiquait ou non le Ramadan, qui respectait ou non scrupuleusement ses moments de prière, mais personne ne s’en préoccupait. L’islam était vécu de façon intime, il s’arrêtait à la sortie de la mosquée. C’est à la fin des années 1980 que l’ambiance a commencé à changer, et que j’ai senti peu à peu une radicalisation chez certains, transformant une question personnelle, à savoir la pratique de l’islam, en un enjeu également politique et social. Que certains religieux fondamentalistes se sentent blasphémés dans leur foi par des œuvres et caricatures c’est impossible de le nier. En revanche, quelle que soit leur sincérités, ce sentiment me semble fabriqué et entretenu par certains, pour des raisons politiques bien plus que spirituelles.

mounir fatmi, octobre 2015

*« Dans quelles conditions l'islam autorise-t-il la représentation du Prophète ? », par Louis Imbert, Le Monde, 15 janvier 2015. http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/01/15/dans-quelles-conditions-l-islam-autorise-t-il-la-representation-du-prophete_4557365_4355770.html  

 

First, an image springs to my mind: a protester in Algiers, on Friday the 16th of January, brandishing with rage a large piece of paper that says “I am Muhammad”, written in French and Arabic, borrowing the white on black esthetic of the “Je suis Charlie” posters of the Paris demonstration on 11 January. The irony is total: by expressing his anger against the blasphemy represented by the caricature of the prophet Muhammad on the cover of a French weekly, this fundamentalist doesn’t realize he’s being a thousand times more blasphemous! He’s putting himself, a mere mortal, in the place of the Prophet who personifies the unity of Islam.

Because in reality, neither the Koran nor any other fundamental text of Islam express a clear prohibition regarding the representation of the prophet. The Koran on the other hand does condemn idolaters who worship images and statues, but only in one instance: “Wine, games of chance and idols are abominations of Satan’s handiwork. Avoid them.” (Surah V, verse 90)*

The objective for the nascent Muslim religion was to impose its monotheism against all the pagan cults and divinities of the pre-Islamic world, and also to differentiate itself from the Catholic cult, which relied strongly on icons, especially in the Byzantine civilization. Implementing rules about the representation of the figures of Islam but also of any animal or human being was originally a political issue more than a religious one. As for the forbidding of any representation of the prophet, it is a recent phenomenon, and evidence of a progressive political radicalization over the past three decades.

I see myself more as an observer than a specialist of Islam. I analyze things primarily through images, as a contemporary artist. I lived for most of my childhood and adolescence in Casablanca. Until I was eighteen, I never felt that religion was a source of problems in the daily lives of Moroccans. In my neighborhood, we knew who observed Ramadan and who didn’t, who scrupulously respected prayer times and who didn’t, but no one worried about it. Islam was experienced in an intimate way; it stopped when you exited the mosque. Things started to change in the late 1980s, and I began to sense the radicalization of some, who turned a personal matter, the practice of Islam, into a political and social one. It’s impossible to deny that some fundamentalist practitioners of religion may feel that certain works of art and caricatures are blasphemous against their faith. But sincere as they may be, this sentiment seems to me to be fabricated and maintained by certain people for political reasons much more than spiritual.

 mounir fatmi, October 2015

 
 *« Dans quelles conditions l'islam autorise-t-il la représentation du Prophète ? », par Louis Imbert, Le Monde, 15 janvier 2015 http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/01/15/dans-quelles-conditions-l-islam-autorise-t-il-la-representation-du-prophete_4557365_4355770.html