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Critic 07 Marc Mercie - In the heart of the disaster, Marseilles 2008 Critics
 


Au cœur du désastre, il ne reste plus qu’une seule véritable arme pour ne jamais ressembler aux monstres contre lesquels nous combattons : l’amour.


Marc Mercier, 2008.
 

From the same author: mounir fatmi ou l’expérience du monde, Marseille, 1998.

Texte pour Bref N°84, septembre-octobre 2008, p.44.

Text for Bref N°84, September-October 2008, p.44.


 

Les éditions Lowave viennent d’éditer (avec la complicité d’Heure Exquise !) un DVD consacré à Mounir Fatmi ; Vidéoformes, un DVD consacré aux frères Villemin. Une belle occasion de visiter deux univers poétiques très différents et intenses qui prouvent combien l’art vidéo s’intéresse à la multiplicité des sensibilités humaines.

Tête dure (titre générique du DVD de Mounir Fatmi) est un nom qui lui va comme un gant. Un gant de boxe, bien sûr. Kateb Yacine disait que « la poésie est un sport de combat ». C’est en habit de lumières que Mounir affronte l’adversité, la religion, le capitalisme, les pouvoirs. Son habit de lumières, c’est cette langue « autre » qu’il s’acharne à apprendre (Les égarés, 2003), pour devenir un sourire, un poumon (pour respirer et pour crier), un cœur. Oui, il en faut de la tendresse pour combattre avec les images, les mots, les sons, toutes les puissances manipulatrices, tous les système de décervelage. Mounir Fatmi ne donne pas de leçons pour révoltés en mal de révolution prêt-à-porter, il pose des équations à plusieurs inconnues : Qui manipule ? Pourquoi ? Comment ?... A nous de les résoudre… A nous de manipuler les couleurs d’un Rubik’s cube (Manipulations, 2004). Il va nous falloir être astucieux, malins, cohérents, rapides, car si nous n’y prenons garde, des mains noires, gluantes, couvertes de pétrole, vont bientôt tout uniformiser, créer le gigantesque empire de l’ennui, de la désolation, du crime écologique et planétaire organisé, et nous serons tous des oiseaux suffoquant, claudiquant sur des plages pétrolifères, définitivement malades de n’avoir pas su, ou voulu, nous soulever à temps. Ah, voilà le mot juste. Le soulèvement ! Quel plus beau mot pour dire la révolte ? Je me soulève, tu te soulèves… Rien n’arrête celui qui se soulève, pas même cette invention de l’homme, terrible, avilissante : Dieu. D’ailleurs, Mounir ne s’y trompe pas, en introduction de Faces, les 99 noms de Dieu (1999), il cite le génial Montesquieu des Lettres persanes : « Si les triangles faisaient un dieu, ils lui donneraient trois côtés ». Si l’homme a fait dieu à son image, quelle pitoyable image il a de lui-même ! Une instance qui confond l’amour avec la domination, qui promeut la pitié plutôt que la solidarité, une sorte d’Etat tantôt dictatorial, tantôt providence, c’est selon, selon l’état du peuple, selon sa capacité à prendre en main sa propre destinée, à briser ses chaînes. C’est pourquoi Dieu a toujours fait bon ménage avec la police dont la matraque (et là je pense à des textes fameux de Jean Genet où il la compare à leur verge) est bien le signe de qui est le Père, celui qui dicte et fait appliquer les commandements, celui qui fait la pluie et le beau temps. Dans Faiseurs de pluie (2004), Mounir filme une mosquée et une parabole : « Dieu contrôle tout. Si nous commettons une faute, il arrête la pluie, et nous devons implorer son aide à genoux. » L’islam dispose d’une prière collective destinée à faire tomber la pluie, consignée dans l’écrit saint du Hadith. Après les pluies torrentielles qui firent en 1988 plus de cent morts, le gouvernement du Bangladesh a interdit ces prières de masse. Dieu, l’Etat et le Marché (la sainte trinité contemporaine) contrôlent décidément tout.
Il faut décidément beaucoup de tendresse dans la besace-cœur de Mounir Fatmi pour métamorphoser en poèmes ces « morceaux de réel », dont parle Antonin Artaud, et que nous conservons tous dans un coin de nous-mêmes. Comment ne pas s’égarer dans le labyrinthe des images télévisuelles qui banalisent l’horreur qui se joue chaque jour devant nous, sur nos misérables petits écrans ? Dans Dieu me pardonne (2004), il dénonce la société du spectacle, le regard criminel du téléspectateur qui avale la violence quotidienne des puissances répressives sans broncher. Il en jouit, même. Catharsis, quand tu nous tiens !

Des censeurs coréalisateurs

Au cœur du désastre, il ne reste plus qu’une seule véritable arme pour ne jamais ressembler aux monstres contre lesquels nous combattons : l’amour. Faire chanter l’amour avec les cordes des images, avec leurs gémissements de plaisir, avec leurs larmes de joie. En 2002, Nabil Ayouch réalise un film qui sera censuré, Une minute de soleil en moins, à cause de huit minutes de scènes jugées trop érotiques. Ce sont ceux qui ont vu ces images qui interdiront aux autres de les voir. Mounir se saisit de ces « diaboliques » séquences pour les recycler dans une vidéo mémorable, Les ciseaux (2003), qu’il mêle à des images plus ou moins autobiographiques. Les images s’enlacent comme deux corps qui s’aiment. Il les fait siennes. Il les fait nôtres. Comble de l’ironie, les censeurs sont élevés au statut de coréalisateurs, ce sont eux qui ont choisi les images.
Mounir Fatmi combat toujours en détournant à son profit la force de l’adversaire. Cela fait vingt ans que je le connais. Il a du succès. Son œuvre est exposée, primée, un peu partout dans le monde. Le marché de l’art contemporain ne l’a jamais broyé. Fait rarissime ! Il sait encore rire, crier, pleurer, aimer, respirer, chanter, miauler, griffer, murmurer… Il a le cœur tendre et la tête dure.




 

The Lowave publishing house just released (with the collaboration of Heure Exquise!) a DVD about mounir fatmi, and Vidéoformes, a DVD about the Villemin brothers. A perfect occasion to explore two very different and intense poetic worlds that show just how much the art of video is interested in the multiplicity of human sensitivities.

Hard Head (the generic title of the mounir fatmi DVD) is a name that fits him like a glove. A boxing glove of course. Kateb Yacine used to say that “poetry is a combat sport”. Mounir fatmi is dressed in light when he takes on adversity, religion, capitalism and the powers that be. His costume of light is that “other” language he is intent on learning (The Lost Ones, 2003) in order to become a smile, a lung (in order to breathe and shout), a heart. You certainly need a large dose of tenderness to fight with images, words, sounds all the manipulating systems, all the decerebrating systems. Mounir fatmi isn’t lecturing the revolted yearning for a ready-made revolution, he poses equations with multiple variables: who is manipulating? Why? How? It’s up to us to solve them… We are the ones who have to manipulate the colors in a Rubik’s Cube (Manipulations, 2004). We’re going to have to be shrewd, smart, coherent, quick, because if we aren’t careful, black and sticky hands covered in oil will soon make everything uniform, create the vast empire of boredom, desolation, the organized ecological and planetary crime, and we will all be suffocating birds, limping on oil-stained beaches, definitively sick from not having known, or wanted, to rise up in time. That’s the right word. An uprising! What more beautiful word to express revolt? I rise up, you rise up… Nothing can stop he who rises up, not even that man-made invention, so terrible and demeaning: God. Mounir fatmi makes no mistake about it; in the introduction of Face, the 99 Names of God (1999), he cites the great Montesquieu from Persian Letters: “If triangles were to make a god, they would give him three sides.” If Man created God in his image, what a pitiful image he has of himself! An entity that confuses love with domination, that promotes pity rather than solidarity, a sort of State that is alternatively dictatorial or profligate; it depends on the state of the people, its capacity to take its own destiny in hand, to break its chains. That’s why God has always gotten along well with the police whose baton (here I have in mind famous texts by Jean Genet where he compares it to their penis) is truly the sign indicating who is the Father, the one who dictates and enforces the Commandments, the one who calls all the shots. In “Rain Making” (2004), mounir films a mosque and a parable: “God controls all. If we make a mistake, he stops the rain, and we have to implore his help on our knees.” Islam has a collective prayer for rain, recorded in the holy scripture of the Hadith. After torrential rains that killed over a hundred people in 1988, the government of Bangladesh banned these mass prayers. God, the State and the Market (today’s holy trinity) certainly control everything. There certainly has to be a lot of tenderness in mounir fatmi’s bag-heart to turn into poems these “pieces of reality” Antoni Artaud speaks of, and which we all keep in a corner of ourselves. How can we not get lost in the maze of TV footage that normalizes the horrors that are at play every day in front of our eyes, on our miserable little screens? In “May God Forgive Me” (2004), he calls out the society of the spectacle, the viewer’s criminal gaze that swallows the daily violence of repressive powers without budging. They even enjoy it – talk about catharsis!

Censors and co-directors

In the heart of the disaster, only one true weapon remains in order to never resemble the monsters we are fighting: love. To make love sing with the strings of images, with their moans of pleasure, their tears of joy. In 2002, Nabil Ayouch directed a movie that will be censored, Une minute de soleil en moins, because of eight minutes of scenes deemed to be too erotic. The ones who saw these images are the ones who will forbid everyone else from seeing them. Mounir seizes these “diabolical” scenes in order to recycle them in a memorable video, The Scissors (2003), mixing them with more or less autobiographical footage. The images intertwine like lovers’ bodies. He makes them his own. He makes them our own. The irony of it all is that the censors become co-directors, as the ones who chose the images. Mounir fatmi always fights by diverting his opponent’s strength to his own advantage. I’ve known him for twenty years. He is successful. His work gets exhibited, receives awards, everywhere around the world. The contemporary art market never ground him down. What a rare feat! He can still laugh, cry, love, breathe, sing, meow, scratch, whisper… He has a tender heart and a hard head.