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02. Nicole Brenez - Hard Head, Paris, 2008 Interviews
 


Creating these images at the time was like creating a medicine because there was a need for something that could relieve my own pain.


Nicole Brenez, 2008.
 

Hard Head, interview de Mounir Fatmi, mai 2008.

Hard Head, interview of Mounir Fatmi, May 2008.  

Nicole Brénez : Mounir, pouvez-vous nous dire d’où viennent vos images, votre découverte de la vidéo lorsque vous étiez au Maroc ?

mounir fatmi : D’où viennent les images ? C’est une bonne question. C’est comme si c’était quelque chose qui venait de moi. J’ai toujours pensé que les images ne pouvaient venir que de l’intérieur, or en réalité elles viennent du cerveau. Si vous regardez l’image choisir pour la pochette du DVD… c’est un cerveau – le reflet de l’intérieur du cerveau, des images et des textes qui essaient d’en sortir – ça m’a toujours surpris et parfois horrifié, la façon dont les images s’impriment en nous puis ‘en vont ; et plus tard on les revoit et elles recommencent à exister.

Mais en lien avec la culture marocaine, il n’y avait pas vraiment d’images dans la maison où j’ai grandi. Il y avait de la calligraphie, une grande photo du roi, d’ailleurs jusqu’à un certain âge je pensais qu’il s’agissait d’un membre de la famille avant de découvrir que ce n’était pas le cas. C’était une jolie photo en noir et blanc, magnifique (rires). Ensuite il y avait le livre, le Coran, que nous n’avions pas le droit de toucher parce que nous n’étions jamais assez propres et dès qu’on le touchait, attention… Je crois qu’en rapport avec la culture marocaine, les images tombent quelque part entre ces deux choses : une image politique de quelqu’un qu’on doit respecter et un livre qu’on ne peut pas toucher car on n’est pas assez propre.

N.B. : Ce corpus de travail que vous avez décidé de représenter avec Lowave pour [la compilation de DVD] « Tête dure » s’étale sur dix ans, de 1999 à 2008. Comment est-ce que vous définiriez ces dix années ? Qu’est-ce qui vous a fait sélectionner ces films pour le DVD ?

M.F. : Créer ces images était comme fabriquer un remède, car il y avait le besoin de quelque chose qui puisse diminuer [ma propre] douleur. Il y avait un besoin de créer de nouvelles images, presque comme allumer un feu pour lutter contre un feu existant. Mais le problème, c’est que quand on fabrique un médicament et qu’on le teste sur soi-même, c’est terrible. Je ne montrerai à personne les premières vidéos que j’ai faites. Je n’étais pas vidéaste, ni dans un cadre où je pouvais les montrer. Il y avait deux ou trois cassettes vidéo [de mon travail] à la maison et je savais que mon père pensait que c’était du porno. Il a dit que de toute façon j’étais une cause perdue et que rien ne pourrait me sauver. La première fois que je les ai montrées, c’était lors d’une rencontre à Casablanca avec Marc Mercier. J’ai vu une publicité à la télévision pour le premier festival de vidéo de Casablanca et j’y suis allé pour rencontrer Marc avec mes trois cassettes. Je l’ai rencontré dans un couloir, je m’en souviens, il était arrivé avec Jean-Paul Fargier et Gianni Totti. Et je lui ai dit, je veux vous montrer quelque chose. Je lui ai dit que j’étais vidéaste et il m’a regardé et j’ai vu un gros point d’interrogation dans ses yeux bleus. Nous sommes entrés dans la salle et j’ai mis les cassettes, il les a regardées. Il n’a rien dit, par exemple je n’aurais pas dû faire ça, et après il m’a dit : nous allons les montrer tout de suite. Il est entré dans la salle de projection, on est descendu jusqu’à l’avant de la salle, et il devait y avoir 300 personnes. Donc en une après-midi, j’ai fini par montrer mon travail et en parler. C’était une overdose. En un instant je me suis retrouvé avec des gens qui disaient : « ah c’est intéressant ce que vous faites, que ça puisse exister. »

N.B. : Parmi vos films, il y a aussi le montage que vous avez fait dans le film « Scissors » qui inclut des scènes du film « Une minute de soleil en moins » de Nabil Ayouch qui ont été censurées par le gouvernement marocain. Pouvez-vous nous parler du processus qui vous a mené à utiliser ces scènes ?

M.F. : Oui, le film de Nabil Ayouch a été censuré au Maroc en raison de certaines scènes érotiques et il avait beaucoup de problèmes avec le gouvernement, pas juste lui mais aussi les comédiens. Alors à un moment donné j’ai pensé à ces images qui avaient été censurées par ces gens qui devaient les avoir vues, ils avaient le droit de les voir afin de les censurer, donc l’équation s’est formée dans ma tête. J’ai dit OK je vais regarder ces images scandaleuses moi-même et les utiliser dans un autre contexte, donc c’était presque un travail collaboratif.

N.B. : L’ensemble de votre travail est caractérisé par la façon dont vous oscillez d’un support à l’autre avec facilité. Votre découverte de la vidéo dans des marchés aux puces, était-ce là aussi une des sources de votre créativité ?

M.F. : C’était le début des années 80, il y avait beaucoup de caméras qui arrivaient dans les marchés aux puces, des caméras qui venaient d’Europe et qui marchaient plus ou moins, mais avec une balance des blancs qui ne marchait pas ou un problème technique pas vraiment désiré. Je n’avais pas de caméra et quand j’ai vu ces caméras je me suis intéressé aux différents formats disponibles. Il y en avait plusieurs : 8mm, super- 8, VHS, S-VHS... Je n’avais pas les moyens d’acheter une caméra alors j’ai acheté de simplement acheter des cassette et de les glisser à chaque fois dans une des caméras [au marché aux puces]. Donc à chaque fois j’essayais une des cassettes, mais c’était en fait pour moi une chance d’essayer les caméras. C’est comme ça que j’ai commencé à créer des images et de la vidéo. Mais après, je n’avais aucun moyen de les regarder. J’avais plusieurs cassettes comme ça. Ça prenait trop de temps d’essayer de les monter alors j’ai trouvé un autre moyen : toujours au début des années 80, la mode des films de mariages venait d’arriver au Maroc. Il y avait toute une classe moyenne et une bourgeoisie qui a commencé à découvrir les vidéos de mariages. Il y avait de petits studios qui filmaient et montaient ces cassettes de mariages alors j’ai commencé à travailler dans un studio, sur des films de mariages et de temps en temps, j’assemblais quelques-unes de mes images avec leur matériel. Un de ces films, je crois que c’était « Survival Signs », est resté en deux parties pendant plusieurs années jusqu’à ce que je puisse enfin les assembler dans le studio de mariage. Donc cette impossibilité de créer des images m’a poussé à créer des images comme je créais des films, en volant des instants, en tentant de tricher… et même aujourd’hui je ne filme pas beaucoup. Je peux créer une vidéo d’une heure avec seulement quelques secondes de prise de vue. Ce ne sont jamais les mouvements de la vie, ils m’intéressent rarement. S’il n’y a pas d’émotion, je filme rarement. J’ai beaucoup filmé à Alger ; j’ai trouvé la ville magnifique, un peu comme une toile blanche. J’ai été surpris de me retrouver à sortir ma caméra et à filmer. Sinon c’est rare que je filme beaucoup.

N.B. : Votre film « Manipulation » sera l’un des plus emblématiques de son époque car il combine deux antagonistes. La religion, le capitalisme et le pétrole d’une façon très simple, en seulement quelques minutes. Comment articulez-vous ces deux fronts en mots ?

M.F. : Pour moi, « Manipulation » est comme une équation mathématique pour la vidéo. Plus elle devient compliquée, plus elle est belle. C’est dans ce sens que le film a été développé : il est né de l’idée d’incertitude et d’un sentiment d’inconfort, avec beaucoup de couleurs, et il est devenu quelque chose d’encore plus stressant et sombre. En même temps cette question s’est imposée : qui manipule qui, et pourquoi ?

N.B. : En faisant ce film, il a dû y avoir un moment où soudainement une partie de votre cerveau a explosé, tellement vous êtes rempli d’une multitude d’images diverses et critiques. Comment cela est-il arrivé ? Avez-eu besoin de créer, là encore, un remède ?

M.F. : Le combat, c’est ça le mot en fait. Le fait que j’ai toujours gardé un côté très enfantin. C’est mon côté enfantin qui ose affronter Dieu. Ce n’est pas mon côté adulte, qui traverse beaucoup de choses comme d’autres gens qui ont souffert et fait souffrir les autres. Ce côté-là est plutôt rationnel : je peux ériger en stratégie le fait de me dire comment je peux me battre contre Dieu en sachant que je ne gagnerai pas. Mais c’est mon côté enfantin qui est têtu. Une tête dure qui dit « je m’en fous » et qui n’accepte pas facilement les choses. D’où la question de Dieu, car on ne peut pas accepter Dieu et je pense même que Dieu ne peut pas être heureux si nous l’acceptons de cette façon parce que Dieu est une question qui demeure sans réponse. La question est la suivante : il s’agit d’essayer de ne jamais le trouver et de procéder de telle façon qu’il ne nous trouve jamais. Rester ainsi perdu en lui et lui en nous. Le problème est maintenant de savoir si la question de Dieu a échappé à son contexte religieux pour entrer dans un contexte politique. Dieu est devenu un projet politique pour certains ; je crains que nous ne voyions bientôt des fanatiques religieux proposer « Dieu président ».

N.B. : D’un point de vue occidental, lorsqu’on découvre vos films on est rassuré par l’existence d’une avant-garde arabe radicale. Êtes-vous seul ou y a-t-il toute une génération avec vous ? Quel est le contexte de votre cercle artistique ?

M.F. : Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup d’entre nous (encore) dans l’ombre et c’est une très bonne chose. Je pense que le temps nécessaire pour que les choses changent est intéressant, mais il y a des difficultés associées à la vie dans le monde arabo-musulman en général et cela a créé cette résistance. Et voilà, je suis à nouveau en train de parler de résistance, alors que je m’étais juré ce matin que je ne parlerai plus de résistance, et pourtant…

Interview par Nicole Brenez, Mai 2008  

 

Nicole Brénez: Mounir, can you tell us where your images come from, and about your discovery of video while living in Morocco?

mounir fatmi: Where do the images come from? That’s a good question. It is as if it was something coming from inside of me. I always thought that images could only come from my interior; and in fact they come from the brain. If you look at the image selected for the cover of this DVD…it is a brain—a reflection of the interior of the brain, images and text which is trying to get out—It has always surprised and sometimes even horrified me, how images impress upon us and then leave; and then we see them again later and they start to exist once more.

But in relation to Moroccan culture, there really weren’t any images at home, where I grew up. There was calligraphy; a large photo of the king, who by the way, I thought was a member of the family until I got older and discovered it wasn’t so; it was a nice black and white photo, really pretty magnificent. (laughs). Then, there was the book, the Koran, which we were not allowed to touch because we were never clean enough and as soon as we touched it… careful. I think that in relationship to Moroccan culture, images can fall somewhere in between these two things-- a political image of someone who we must respect, and of a book we can’t touch because we’re not clean enough.

Nicole Brénez: This body of work that you've chosen to represent with Lowave for the “Hard Head” [DVD compilation] follows 10 years, from 1999 to 2008. How would you characterize these past 10 years? What made you decide on these films for the DVD?

mounir fatmi: Creating these images at the time was like creating a medicine because there was a need for something that could relieve [my own] pain. There was a need to create new images, almost like starting a fire to fight an existing fire. But the problem is when we make the medicine and test it on ourselves it is terrible. I will not show anyone the first videos that I made. I was not a filmmaker, nor in a framework where I could show them. There were two or three videotapes [of my work] in the house and I knew that my father thought that they were pornographic. He basically said that I was a lost cause and that there was nothing that could save me. The first time I showed them it was an encounter in Casablanca with Marc Mercier. I saw an ad on television for the first video festival in Casablanca and so I left to meet Marc with my three tapes. I met him in a hallway; I remember he had arrived with Jean-Paul Fargier and Gianni Totti. And I said, “I want to show you something.” I told him I was a video artist and he looked at me and I saw a big question mark in his blue eyes. We entered the room and I played the tapes, he watched them. He didn’t say anything to me such as I shouldn’t have done this, and afterwards he told me we are going to show them straight away. He entered the projection hall and we walked down aisle. There were probably about 300 people there. So in one afternoon I ended up showing my work and then talking about it. It was an overdose. In a single moment I found myself with people who were saying: ah that’s interesting what you are doing, that it can exist.

Nicole Brénez: Among your films there is the montage that you did in the film “Scissors” that includes scenes from the film “Une minute de soleil en moins,” by Nabil Ayouch that were censored by the Moroccan government. Can you tell us about the process of using these scenes?

mounir fatmi: Yes. Nabil Aliouche’s film was censored in Morocco because of certain erotic scenes and he had a lot of problems from the government-- not only him but also the actors. And so at one point I thought of those scenes which must have seen by the people who had them censored-- they had the right to see them in order to do so, and so the equation formed in my head. I said OK; I am going to look at these scandalous images myself and somehow use them in another context. So it was almost a collaborative effort.

Nicole Brénez: The whole of your work is characterized by the way you go from one medium to another with ease. Your discovery of video at flea markets- was this a source as well for your creativity?

mounir fatmi: It was the beginning of the 1980s, and there were a lot of cameras that ended up in the flea markets in Morocco-- cameras that came from Europe and that worked more or less, but with a white balance that didn’t function or a technical problem was not particularly desired. I didn’t have a camera at the time and when I saw these, I started to become interested in the variety of formats available. There were several different types: 8mm, super- 8, VHS, S-VHS… I didn’t have the money for a camera and so I decided to just buy videocassettes and then place them in one of the cameras [at the flea market]. So each time I would try out one of these tapes it was really, in a sense, a chance for me to try out the cameras. This was how I first started creating images/video. But afterwards there was no way to watch them again. I had several tapes like this. It would take to long to try and edit them and so I found another way; again, it was the early 1980s and the fashion for wedding films had just arrived in Morocco. There was an entire middle class and a bourgeoisie that started to discover wedding films. There were some small studios that would make and edit these marriage tapes and so I started working at the studio, on wedding films and every once in a while put a few of my own images together using their facilities. One of these films, I think it was “Survival Signs,” stayed in two parts for several years until I could finally assemble them in the wedding studio. So this impossibility of making images pushed me into constructing images like making films, tracking time, trying to cheat… and even now I don’t film very much. I can create a one-hour tape from just a few seconds of filming. It’s never the motions of life-- this rarely interests me. If there’s no emotion, I rarely film. I filmed a lot in Algiers; I thought that the city was magnificent, almost like a white canvas. I was surprised to find myself taking out the camera and filming. Otherwise it’s rare that I film a lot.

Nicole Brénez: Your film “Manipulation,” will be one of the most emblematic of its time because it combines three antagonists: religion, capitalism, and petroleum in a simple way, in only a few minutes. How do you articulate these three fronts in words?

mounir fatmi: For me, “Manipulation” is like mathematical equation for video. The more complicated it becomes, the more beautiful it becomes. It was in this sense [that the film developed]; it started from an idea of uncertainty and a sense of uncomfortable-ness and with lots of colors, and it finished with something even more stressful and dark. At the same time there was this question that came up- who’s manipulating who and why? How?

Nicole Brénez: When making this film, there must have been a moment when suddenly a part of your brain exploded full of the many diverse, critical images that are inside of you. How did this happen? Did you need to create, once again, a medicine?

mounir fatmi: The fight, that’s the word in fact…The fact that I have always kept a very childish side. It’s my childish side that dares to confront God. It’s not my adult side that’s living through many things like other people that suffered and made others suffer. That side is rather rational; I can make it a strategy to tell myself how I can fight with God knowing that I won’t win. But it’s my childish side that is stubborn; a hard head that says, ‘I don’t give a shit’ and which does not easily accept things. Thus the question of God, because we cannot accept God and I even think that God can’t be happy if we accept him this way because God is a question that remains unanswered. And it’s in this sense--it’s about trying never to find him and go about in such a way that he can’t ever find us. To stay like this lost in him and him in us. The problem is now whether the question of God has escaped its religious context and into a political context. God has become a political project for some; I am afraid we will soon see fervent religious fanatics propose “God for president.”

Nicole Brénez: From a western point of view, when we discover your films we are reassured by the existence of a radical, Arab avant-garde. Are you alone or is there a whole generation with you? What is the context of your artistic circle?

mounir fatmi: I don’t think that there are a lot of us (still) in the shadows and that’s a very good thing. I think that the time it takes for things to change can be interesting, but there are difficulties associated with living in the Arab-Muslim world in general and that created this resistance. Here I am speaking of resistance again and I swore to myself this morning that I would not longer speak of resistance, and there I go.

 

 

 

 

 

 

Interview by Nicole Brenez, May 2008