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50. | Nada - Dance with the Dead
 
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  • 2015-2016, France, 17 min 42, HD, colour, stereo.
    Courtesy of the artist and Analix Forever, Geneva.
    Ed. of 5 + 2 A.P.

'' If mounir fatmi was to leave us just one work of art as a testament, one that condensed all his interests and his way of doing things, without a doubt, Nada would be the one. ''


Paul Ardenne, July 20th 2018
 




Nada. Rien. Un cadavre le dit, il est revenu pour nous le dire, il est revenu pour cela. Il n’y a rien. Après la mort, il n’y a que la mort. Aucun jugement pour sanctionner notre existence. Il n’y a rien que nous, les hommes.

NADA vraiment ? mounir fatmi serait-il nihiliste ? Bien au contraire. Inspiré des Désastres de la Guerre de Goya et en particulier de Nada (estampe 69) qui donne le titre au film et suggère donc qu’il n’y a rien – rien après la mort, s’entend – Nada (le film de mounir fatmi, 2015-2016) est tout sauf nihiliste. Il magnifie l’être bien plus que le rien. Rien après la mort ? Tout de notre vivant. mounir fatmi est en réalité un existentialiste. Il nous montre la vie et la mort ensemble, dans une sorte de délectation nietzschéenne, mais sans aucun nihilisme : l’artiste se plaît à prendre toutes les images, là où elles se cachent et là où elles se montrent, dans les musées comme dans les archives, dans les films des autres et dans sa propre banque d’images intracérébrale, images trouvées de guerre, notamment de la Deuxième Guerre Mondiale, chefs d’œuvres de Goya, taureaux dans l’arène, sexe de femme – une photo anonyme achetée au marché aux puces à Paris –, manuscrits qui se perdent dans le vent et les flammes… Toutes ces images, fatmi les emboîte, les superpose, les mélange, les fait apparaître, disparaître, réapparaître sous nos yeux tel un prestidigitateur du montage. NADA ? Todo. La mort, la violence, le sexe et la beauté des femmes. Certains diraient même : demasiado.

Toute l’œuvre de fatmi est dans cette même logique : demasiado. Artiste formidablement prolifique : NADA est sa 50ème vidéo. Qui plus est, les vidéos de fatmi sont réalisées en parallèle à une cinquantaine d’installation, à des photographies, des livres, des dessins, des sculptures, des peintures, des objets… mounir crée, nuit et jour, invente, brasse, crée, imagine, produit, crée, filme, se souvient, crée… tout sauf NADA.

Nada : rien après la mort, donc – sauf les traces de ce que nous aurons fait sur terre. Alors, dansons avec les morts ! C’est le sous-titre de NADA et mounir fatmi tient cette promesse : il nous fait bel et bien danser avec les morts. En musique. Le son est, comme toujours dans les œuvres de fatmi, organique. Comme la respiration. Comme sa propre respiration qu’il donna à Salman Rushdie dans son film Sleep (mounir fatmi, 2005-2012) dédié au poète des Versets Sataniques. Comme la respiration de Goya – on croit, dans NADA, entendre les œuvres respirer – à moins que ce ne soit le peintre. Ou la respiration de fatmi encore, haletante, difficile, empêchée, stridente. Ou celle des chiens, que l’on entend aboyer aussi, dans le film de fatmi. Un aboiement qui évoque celui que l’on entend malgré soi en lisant l’histoire du chien Scoppiato dans le Requiem des innocents de Louis Calaferte : l’histoire du meurtre du chien. « Ils sont forcés d’entendre ma honte et de participer à cette chose innommable qu’est le meurtre d’un chien. » Et le meurtre des humains. Des soldats. Des réfugiés.

mounir fatmi regarde à la loupe les misères du monde. On ne les regarde jamais d’assez près, n’est-ce pas. Lui regarde à la loupe, dans nombre de ses films, de ses dessins, pour comprendre l’anomalie, la mort, la maladie, mais aussi la beauté, celle de l’art d’autrefois, qu’il s’agisse de Fra Angelico dans La Jambe noire de l’Ange (mounir fatmi, 2011) ou, comme ici, des horreurs que révèle Goya. La maja desnuda est nue, elle est bonne et on la regarde à la loupe, elle aussi. Quand fatmi passe du corps humain au corps urbain, comme dans Archisickness (mounir fatmi, 2011), la loupe est même remplacée par le microscope. Il s’agit bien de regarder, de voir et de montrer les images – toutes les images.

Et pendant ce temps, des manuscrits flambent dans le vent, évoquant L’Homme sans Cheval (une autre vidéo de fatmi et sa terreur de la disparition des écrits) ; les chiens aboient et Cantat chante Des Armes de Leo Ferré – un texte que Ferré a écrit dans l’immédiat après Mai 68, une chanson que lui-même n’a jamais mise en musique. Ecoutez, on l’entend à la radio… la main si fine de fatmi tourne les boutons, module le volume, met un début et une fin à l’histoire. History is not mine (mounir fatmi, 2013). La radio, les enregistrements, les bandes, la mémoire, récurrents chez fatmi.

Et la main et le sexe. Le corps, le sexe de la femme, que mounir montre rarement, mais alors avec la plus grande sensualité – comme dans Les Ciseaux (mounir fatmi, 2003) ou dans Something is possible (mounir fatmi, 2006) –– est montré ici crûment. L’antidote à la mort ne saurait être que cru. Styles multiformes que ceux de fatmi, comme ceux Goya, ce « génie hanté » si bien décrit par Michel de Castillo. Goya dont la multiplicité n’est pas sans inspirer celle de fatmi : des Désastres de la guerre à La maja desnuda, la vie et la mort.


Des armes, des chouettes, des brillantes

Des qu’il faut nettoyer souvent pour le plaisir

Et qu’il faut caresser comme pour le plaisir
L'autre, celui qui fait rêver les communiantes

Des armes bleues comme la terre
Des qu’il faut se garder au chaud au fond de l'âme

Dans les yeux, dans le cœur, dans les bras d’une femme

Qu'on garde au fond de soi comme on garde un mystère

Des armes au secret des jours
Sous l’herbe, dans le ciel et puis dans l’écriture

des qui vous font rêver très tard dans les lectures
et qui mettent la poésie dans les discours
des armes, des armes, des armes
Et des poètes de service à la gâchette
Pour mettre le feu aux dernières cigarettes

Au bout d'un vers français... brillant comme une larme
des armes, des armes... des armes...



Barbara Polla, Juillet 2017.

 

  Nada. Nothing. A corpse is saying it, it came back to tell us, it came back especially for that. There is nothing. After death, there is only death. No judgment to sanction our existences. There is just us, humans.

NADA, really? Is Mounir Fatmi a nihilist? On the contrary. Inspired by Goya’s Disasters of War, and particularly by Nada (print #69) that lends the film its title and suggests there is nothing – nothing after death, that is – Nada (the film by Mounir Fatmi, 2015-2016) is anything but nihilistic. It celebrates being much more than nothingness. Nothing after death? Everything while we are alive. Mounir Fatmi is actually an existentialist. He shows us life and death together, with a sort of Nietzschean delectation, devoid of any nihilism: the artist enjoys using all types of images, whether they are hidden or put on display, from museums and from archives, from films by others and from his own cerebral image bank, war footage, in particular from World War II, masterpieces by Goya, bulls in the arena, a woman’s sex – an anonymous photo bought at a flea market in Paris – manuscripts that are lost in the wind and in flames… All these images, Fatmi assembles them, mixes them, makes them appear, disappear and reappear right in front of us like a magician of montage. NADA? Todo. Death, violence, sex and the beauty of women. Some would even say: demasiado.

All of Fatmi’s work follows the same logic: demasiado. He is a formidably prolific artist: NADA is his 50th video. And Fatmi creates his videos concurrently with dozens of installations, photographs, books, drawings, sculptures, paintings, objects… Mounir creates night and day, invents, mixes, creates, imagines, produces, creates, films, remembers, creates… Anything but NADA.

Nada: nothing after death – except the traces of what we will have achieved on Earth. So let us dance with the dead! Such is the subtitle for NADA and Mounir Fatmi keeps that promise: he really does make us dance with the dead. With music. The sound is, as always in Mounir Fatmi’s work, organic. Like breathing. Like his own breathing that he lent to Salman Rushdie in his film Sleep (Mounir Fatmi, 2005-2012), dedicated to the author of the Satanic Verses. Like the breathing of Goya – in NADA, you’d swear you could hear the artworks breathing – unless it’s the painter himself. Or Fatmi’s breathing again, panting, difficult, strained, strident. Or that of dogs that you can also hear in Fatmi’s film. A bark that evokes the one you involuntarily hear when reading the story of the dog Scoppiato in Louis Calaferte’s Requiem des Innocents: a story about the murder of a dog. “They are forced to hear my shame and to participate in such an unspeakable thing as the murder of a dog.” And the murder of humans. Of soldiers. Of refugees. 


Mounir Fatmi scrutinizes the miseries of the world up close. One never looks at them from close enough, it seems. He takes a very close look, in many of his films, of his drawings, to understand anomalies, death, disease, but also beauty; the beauty of art from the old days, whether it’s Fra Angelico in The Angel’s Black Leg (Mounir Fatmi, 2011) or, like here, the horrors revealed by Goya. The maja desnuda is naked, she’s appealing and we look at her up close as well. When Fatmi shifts from the human body to the urban body, like in Archisickness (Mounir Fatmi, 2011), he even uses a microscope. The objective is to watch and show images, every image.

And meanwhile, manuscripts are burning in the wind, evoking The Man without a Horse (another of Fatmi’s videos expressing his terror of the disappearance of writings), dogs are barking and Cantat is singing Des Armes by Leo Ferré – written in the aftermath of the Parisian riots of May 68, a song he never actually put music to. Listen, you can hear it on the radio… Fatmi’s delicate hand is turning the knobs, changing the volume, putting a beginning and an end to the story. History is not mine (Mounir Fatmi, 2013). The radio, recordings, tapes, memory, recurrent themes with Fatmi. 


The hand and the sex. The body, the woman’s sex, which Mounir rarely shows, and when he does, with the utmost sensuality – like in The Cissors (Mounir Fatmi, 2003) or Something is possible (Mounir Fatmi, 2006) – is shown crudely here. The antidote to death can only be crude. Fatmi’s styles are polymorphous, like with Goya, that “haunted genius” Michel de Castillo described so well. Goya’s multiplicity inspires Fatmi’s versatility: from the Disasters of War to La maja desnuda, life and death.

Weapons, nice ones, shiny ones
Ones that should be cleaned often, for pleasure
And that should be caressed like for pleasure
The other one, the one that makes communicant girls dream
Weapons as blue as the Earth
Ones that should be kept warm deep in your soul
In the eyes, in the heart, in the arms of a woman
That you keep inside you like you keep a mystery

Weapons hidden away
Under the grass, in the sky and in writing too
Ones that make you dream late at night when you read
And that bring poetry to speeches
Weapons, weapons, weapons
And poets on duty with a trigger
To set ablaze the last cigarettes
At the end of a French verse… shiny as a tear

Weapons, weapons, weapons…















Barbara Polla, July 2017.