02.
   
   
 


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31. | Ghosting
 
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  • 2009, VHS, tapes, copy machines, video, sentence painted in black mate acrylic,
    Exhibition view of The spectacle of the everyday, Xth Lyon Biennial, 2009, Lyon.
    Courtesy of the artist and Ceysson & Bénétière, Paris.
    Ed. of 5 + 1 A.P.

  • 2009, VHS, tapes, copy machines, video, sentence painted in black mate acrylic,
    Exhibition view of Biennale Cuvée, Offenes Kulturhaus Oberösterreich, 2010, Linz.
    Courtesy of the artist and Ceysson & Bénétière, Paris.
    Ed. of 5 + 1 A.P.

Video

mounir fatmi comes up against time,

the issue of the past and, of course, that of the subsequent future,

and he does so as if he were laden with memory.


Thierry Raspail, Ghosting, 2011
 




Ghosting, vaste installation conçue comme la scène d’un spectacle permanent, réactive la réflexion menée par mounir fatmi sur les images médiatiques, la manière dont on les construit, les diffuse, les transforme, les conserve ou les fantasme.
Au fond, un mur de cassettes vidéo, objet de transmission et de copie de l’image aujourd’hui obsolète et réhabilité en matériau plastique récurrent par l’artiste. Les bandes magnétiques tirées des cassettes se répandent au sol comme une marée noire luisante, un tsunami d’images potentielles, copies ou ombres d’images, rampant jusqu’aux photocopieuses disposées en plusieurs endroits de la scène. Ces photocopieuses, qui évoquent le monde du travail, de l’administration, envers du décor commun à toute société qui produit, elles aussi instruments de copie en passe d´être supplantées par d’autres moyens de diffusion, sont laissées à la disposition des visiteurs. En les actionnant, ceux-ci provoquent ce flash de lumière caractéristique, diffusant une lumière blanche et ne saisissant que l’ombre, le spectre, l’envers, de l’image qu’ils auront voulu dupliquer, jusqu’à sa disparition progressive, son absence. Que restera-t-il de leur action ? Que reste-t-il de ce que copient nos mémoires ?
A l’orée de la modernité, Feuerbach prédisait déjà : « Et sans doute notre temps...préfère l’image à la chose, la copie à l’original, la représentation à la réalité, l’apparence à l’être... »*. Ghosting est un temple, un temple désuet, voué à la duplication.

« Mehr Licht ! » : Plus de lumière ! Tels auraient été les derniers mots de Goethe. Peint à même le mur, ce mot de la fin éclaire cette installation d’un autre jour.
Plus de lumière ! Expression quasiment passée dans le langage courant de la langue de son auteur, pour réclamer plus de savoir et de vérité, savoir que mounir fatmi sait être seule arme contre les préjugés, la violence et les extrémismes, vérité dont il se méfie si elle doit être dogmatique, mais qu’il convoque aussi en choisissant parfois d’user de la violence des images.
mounir fatmi explique : le terrorisme développe une esthétique de l’image-spectacle comme une arme supplémentaire et puissante de manipulation. Il s’agit de se les approprier, de s’y confronter, d’en démonter le mécanisme pour en désamorcer la charge. En créant des images violentes auxquelles il donne une dimension poétique, mounir fatmi tente de déconstruire la mécanique de la peur en leur instillant un autre sens.

Il n’y a pas d’image sans lumière et pourtant, dans le maelström médiatique aspirant tout sur son passage, phénoménale puissance d’attraction, tout ne risque-t-il pas de se résoudre à une lumière sans nom et sans signe ? Sur le mur, une vidéo diffuse une série de cercles lumineux calligraphiés, comme arrachés au fond obscur de la pesanteur, se mettant en rotation semblable à un mécanisme chaplinien, mécanisme implacable et nécessaire, dans un sens puis dans un autre, de plus en plus vite, jusqu’à ce que les mots calligraphiés, que la plupart d’entre nous ne comprennent pas, disparaissent sous nos yeux pour laisser place à une sorte d’image universelle, de blanc et de lumière. Dissolution des signes menant à l’universel ou disparition du savoir dans un néant spectral ?

Plus de lumière. Plus de spotlights, d’images, de divertissement, de spectacle. mounir fatmi intègre à dessein cette dimension dans son travail en donnant à voir une installation spectaculaire, où se mêlent deux aspects de ce « spectacle du quotidien » décrit par Guy Debord, la sphère de l’audio-visuel et celle de la bureaucratie, qui relèvent toutes deux de la même idélogie de la représentation du monde, comme image et copie. Depuis Debord, nous savons que les sociétés post-modernes, celles là même capables de produire en quantités industrielles des images en même temps que les moyens massifs de les diffuser, sont des sociétés organisées autour et dans le spectacle. Mais le spectacle que l’artiste nous donne à voir est celui de la fin. L’installation est spectaculaire mais obsolète, son semblant d’interactivité, dépassée. L’avènement du numérique nous fait rentrer dans une nouvelle ère médiatique. Le support de l’image devient virtuel. La médiation de la copie est remplacée par l’identique et la transmission des images et des informations devient immédiateté. Artefacts, surfaces sans support. Immédiateté médiatique qui sans doute rend le monde plus spectaculaire encore, mais au risque de réduire à néant le temps du recul critique, de l’indignation et de la riposte.

Marie Deparis-Yafil, Avril 2003.

*L. Feuerbach, L’essence du Christianisme-1841
  Ghosting, a large-scale installation in the form of a permanent stage set, rekindles mounir fatmi's reflection on media images and the way they are constructed, broadcast, transformed, preserved and fantasized over.
The back wall is made up of video cassettes, objects once used for transmission and image copying: now all but obsolete and repurposed by the artist in his recurrent use of their formal qualities. The magnetic tape wrenched from the cassettes spreads across the ground like a glossy oil slick, a tsunami of potential images - pale copies or ghosts of images - creeping up to photocopiers positioned in several parts of the installation. These photocopiers, reminiscent of the world of work and administration - the flip side of every society's common decor - are also copying tools on the way to being supplanted by other means of diffusion. Here they are left at the visitors' disposal and when activated, trigger that characteristic flash of white light. The light is diffused and only a spectral shadow of the image intended for duplication is captured, and even this progressively disappears, so all that's left is an absence. What remains of this action? What remains of the thing that copies our memories? On the eve of modernity, Feuerbach had already predicted: “the present age...prefers the sign to the thing signified, the copy to the original, representation to reality, appearance to essence…”*. Ghosting is a temple, an out-dated temple, devoted to duplication.

« Mehr Licht ! » : More light! were reputedly Goethe's last words. Painted on the wall, these dying words shed new light on the installation.
The expression, « more light! », which became almost commonplace in the author's native tongue, demands more knowledge and truth. Knowledge, mounir fatmi knows, is the only weapon against prejudice, violence and extremism; he is wary of truth in its dogmatic form, but also calls on it by sometimes choosing to use violent images.
mounir fatmi explains: terrorism is developing an image-spectacle aesthetic as a powerful supplementary weapon of manipulation. It must be appropriated, confronted, the mechanism dismantled and the charge defused. By creating violent images and imbuing them with a poetic dimension, mounir fatmi attempts to deconstruct the mechanism of fear and instill another meaning.

There are no images without light, and yet, in the media maelstrom sucking up everything in its path with its phenomenal power of attraction, doesn't everything risk being reduced to a light without name or sign? On the wall, a video displays a series of luminous circles of calligraphy, which seem to tear away from the dark heaviness of the background. They rotate in a chaplinesque motion, imperative and unrelenting in one direction, then the other, faster and faster until the calligraphy words, which most of us don't understand, disappear before our eyes, giving way to a sort of universal image of white and light. Are we witness to the dissolution of signs that leads to a universal ideal? Or the disappearance of knowledge in a spectral void?

More light. More spectacle with its notions of spotlights, images and entertainment. mounir fatmi deliberately integrates this dimension into his work, showing a 'spectacular' installation, which mixes two aspects of « the society of the spectacle » as described by Guy Debord. These two aspects: the audio-visual and bureaucracy, come under the same ideology of representing the world as image and copy. Since Debord, we have seen that postmodern societies, capable of producing images in industrial quantities as well as the means of diffusing them, are societies organised in and around the spectacle. But the spectacle that the artist shows is that of the end. The installation is spectacular but obsolete, its semblance of interactivity outmoded. The advent of the digital age has plunged us into a new era. Image supports are becoming virtual, the mediation of the copy is being replaced by the identical and the transmission of images and information is becoming instantaneous. Artifacts are becoming surfaces without a support. This immediacy of media undoubtedly makes the world even more spectacular, but with the risk of reducing the time for critical detachment, indignation or response, to nothing.

Marie Deparis-Yafil, April 2003.


Translation: Caroline Rossiter.

*L. Feuerbach, L’essence du Christianisme-1841